• L’anti-écologie, version néo-libérale

    Je travaille depuis plusieurs années sur la pensée néo-libérale, afin de construire et parfaire ma connaissance de cette idéologie, aux antipodes de mes convictions. J'ai accumulé les livres et les lectures sur ses postulats et ses prémisses, de façon à pouvoir observer et réagir comme un néo-libéral. Il m'arrive souvent, un peu par automatisme, à penser immédiatement comme un néo-libéral convaincu, face à un événement divers. C'est plutôt facile et même lassant à la longue, le schéma de la pensée dans lequel se raccrochent les adeptes de cette pensée est si simple, voire simpliste. L'État ne doit avoir aucun emprise sur une question quelconque, chacun doit agir  en tant qu'individu sans repère que les siens, le libre marché et le laissez-faire peut corriger toute forme d'imperfection. Peu importe la question, c'est toujours le même schéma qui prévaut.

     

    Idem pour les problèmes environnementaux... sauf que les néo-libéraux en ont plein les bras avec cette question. À la longue, je me suis rendu compte qu'autant les partisans du néo-libéralisme pouvaient être à l'aise à combattre toute forme de pensée collectiviste, en s'appuyant sur la multiplicité des errances du socialisme et de ses avatars, autant au niveau politique, social, juridique et évidemment économique. Mais lorsque s'est présenté la question environnementale, les voilà qu'ils ont poussé les hauts cris et ont remis davantage de coups sur cette nouvelle forme de pensée « liberticide ». En effet, pour les néo-libéraux, le progrès ne peut être inspiré autrement que par celui de la richesse et de la production, calculé en chiffre et comptabilisé en dollars. Toute forme d'entrave à la production ne peut être néfaste pour la liberté, tous les moyens sont alors  utiles pour démontrer la possibilité de la tyrannie, dissimulée derrière toute pensée bienveillante...autre que le libéralisme. Alors, la défense de l'environnement par des législations contraignantes, envers les entreprises coupables de polluer, ne constituent qu'une autre facette de la grande tyrannie étatique à démettre une fois pour toute.

     

    C'est la fameuse lettre écrite par Stephen Harper en 2002, lorsqu'il était député de l'Alliance canadienne, qui m'a rappelé le fond profondément anti-écologiste des néo-libéraux. Le PLC de Stéphane Dion a fait une belle manœuvre, certes très « politicienne », en la republiant et en lui demandant de se mouiller sur les programmes environnementaux, que les conservateurs ont aboli l'an dernier. Dans le but de solliciter des bailleurs de fonds des milieux les plus rétrogrades, Harper, encore près du courant libertarien[1] dans lequel il a milité de nombreuse année, a été très loin dans sa critique des moyens employés par le gouvernement libéral. En voici des extraits :

    “Dear Friend, we're on a roll, folks! The Canadian Alliance is once again setting the agenda in the House of Commons. (...)But we can't just relax and declare victory. We're gearing up for the biggest struggle our party has faced since you entrusted me with the leadership. I'm talking about the “battle of Kyoto” - our campaign to block the job-killing, economy-destroying Kyoto Accord.
    It would take more than one letter to explain what's wrong with Kyoto, but here are a few facts about this so-called “Accord”:
    - It's based on tentative and contradictory scientific evidence about climate trends.
    - It focuses on carbon dioxide, which is essential to life, rather than upon pollutants.
    (...)- The only winners will be countries such as Russia, India, and China, from which Canada will have to buy “emissions credits.” Kyoto is essentially a socialist scheme to suck money out of wealth-producing nations.

    Pour lire le reste de la lettre :  http://www.canada.com/story.html?id=24b534b3-32a1-4eb7-9a72-6b1b27999651


    Comme vous pouvez le constatez, notre actuel premier ministre canadien en avait long sur le cœur envers une législation, si petite et si peu significative concrètement, mais combien symbolique comme geste. L'accord de Kyoto, c'est beaucoup trop, aux yeux des néo-libéraux. Pour eux, il n'y a rien de plus simple que de faire agir l'économie capitaliste : privatiser l'environnement, la rationalité marchande permettra de protéger les ressources naturelles, puis les lois du marché feront le reste, les consommateurs s'intéresseront uniquement aux produits écolo, l'avenir de la planète sera sauvée...


    Le discours anti-écologiste du néo-libéralisme ne date pas d'hier. Gérard Bramouillé, économiste et professeur à l'Université d'Aix-Marseille, a publié un pamphlet intitulé «La peste verte » (Les Belles Lettres, collection Iconoclastes, 1991), dans lequel il dénonce toute forme de pensée écologiste politique. Pire, il dénonce l'amalgame des courants de défenseurs de l'environnement comme un risque de totalitarisme à venir (stalinienne, bien sûr). Ou du moins, le discours écologiste ne sert finalement qu'à établir une autre bureaucratie omnipotente, comme le dénonce continuellement les néo-libéraux chez tous les gouvernements moindrement d'inspiration sociale-démocrate. En voici un extrait :


    « ...l'écologie n'est qu'une remise en forme, pour un retour en force, des débris d'une idéologie démentie. Déstabilisée par l'Histoire, cette idéologie politico-bureaucratique fait désormais appel à la Géographie pour perdurer. Les hommes de l'État ne s'y sont pas trompé. Il ont vite compris le parti qu'ils pouvaient tirer de la verdissure : une nouvelle justification de leur parasitisme pour les bureaucrates, un nouvel argument permettant aux technocrates de continuer à décider ce qui est bien pour nous, sans nous demander notre avis, une nouvelle opportunité de récupérer des voix pour les politiciens. Pour les uns, comme pour les autres, l'occasion était trop belle de détourner l'attention de leur incapacité à gérer l'imprévisible, en affirmant leur volonté de maîtriser l'hypothétique. Et ils ne l'ont pas manqué. Après l'économie dirigée, voilà l'écologie administrée (...) après des ministères de l'économie ou de l'industrie, les États-nations créent de véritables ministères de l'écologie; les Plans verts succèdent aux Plans de développement économique et social, etc.(...) Mais, si son centre de gravité se déplace du développement à l'environnement, sa logique profonde reste la même, et ses résultats n'ont aucune raison d'être moins mauvais. Cette logique ne laisse pas d'autres choix que l'obéissance ou la punition. »


    Sur le site du webzine Le Québécois libre (quebecoislibre.org), principal lieu de diffusion de la pensée libertarienne francophone, le thème anti-écologiste est à l'honneur. Je prend comme exemple, parmi tant d'autres, un texte avec un titre évocateur « La police écologiste, c'est pour demain », on retrouve l'extrait suivant :


    « Ce mouvement écologiste ne vise finalement rien d'autre qu'à se substituer au marxisme comme « alternative » du capitalisme. L'idéologie est différente mais les moyens sont identiques: coercition étatique, distinction entre les bons citoyens qui obéissent à l'idéologie et les mauvais citoyens mis au ban de la société. Tous les ingrédients d'une dictature douce sont là. L'État est entré dans les lieux privés ouverts au public (entreprises, restaurants, magasins etc...), il s'apprête désormais à entrer dans votre salon, à envahir votre cuisine et à violer votre intimité là où vous n'alliez que seul jusqu'à présent. » (lien : http://www.quebecoislibre.org/010804-14.htm ). Vous en lirez des « vertes », en tapant « écologie » dans le moteur de recherche du site...


    Une chose est certains, vous verrez comment ils réagissent, lorsque vous glissez la maxime suivante : On n'hérite pas de la planète, on l'emprunte à nos enfants.


    La pensée néo-libérale va continuer pendant longtemps à imaginer les logorrhées, afin de faire croire qu'il n'existe pas de problème climatique, et que seule la liberté individuelle incarnée dans l'enrichissement sans fin des « créateurs de richesse », une fois libéré définitivement des carcans de l'État, va permettre le sauvetage automatique de la planète. La « main invisible » du marché à la rescousse de l'environnement!

     

    Allez raconter ça aux sinistrés de la Nouvelle-Orléans... allez voir la responsabilité environnementale des libres entreprises pétrolières en Alberta, avec les sables bitumineux...


     


              

     







    [1] Un libertarien, terme encore considéré comme un néologisme dans la langue française, désigne un individu encore plus critique envers l'État qu'un néo-libéral. Le libertarien milite pour une société sans État, où tous les services sont privatisés, où toute forme de relation sociale n'est pas tributaire d'une sociabilité  d'origine politique, mais bien selon le schéma fourni par le marché. Toute forme de relation est donc réfléchie selon le schéma d'une transaction purement intéressé, selon l'avantage que l'échange apporte à l'un envers l'autre. Vous trouverez des exemples de cette façon de penser dans la majorité des textes de l'Institut économique de Montréal (IEDM.org). Je reviendrais sûrement sur cette question.



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  • Commentaires

    1
    Catherine
    Dimanche 4 Février 2007 à 03:12
    Erreur!
    Votre définition du mot Libertarien est malheureusement fausse! Quand on ne connaît pas un sujet, on raconte parfois des idioties. Le chemin facile pour alimenter nos préjugés. Il existe dans la philosophie Libertarienne des écoles de pensée qui ne rejettent pas du tout la présence de l'État. Votre définition à vous porte simplement sur l'anarchocapitaliste. Par exemple, Nathalie Elgrably (IDEM) bien que je sois tres critique de son discours n'est pas du tout une Libertarienne et ne souhaite pas la disparition de l'État. P'S : Pour votre information je suis en faveur de la social-démocratie. Mais un peu de rigueur ne fait jamais de mal à personne.
    2
    Mardi 20 Février 2007 à 13:55
    Je persiste...
    Ma définition est tout à fait correcte. Ce sont certains libertariens qui maintiennent la confusion entre leurs affirmations et le maintien de l'État dans une société libertarienne. Je me demande pourquoi mon texte a suscité autant d'agressivité chez vous, chère Catherine? On pourrait en discuter, qu'en pensez-vous?
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